À l’occasion de la sortie en librairie du premier ouvrage consacré à l’autrice Lydie Salvayre, Stéphane Bikialo, professeur de langue et de littérature françaises XXe-XXIe siècles qui a dirigé l’ouvrage nous éclaire sur la genèse de l’entreprise éditoriale qu’il a menée et propose quelques conseils de lecture.

Quelle est la genèse de cet ouvrage collectif ?

C’est Gilles Bonnet, professeur à Lyon 2, et directeur de la collection « Écrivains francophones d’aujourd’hui » qui m’a proposé de faire un ouvrage sur l’auteur ou l’autrice que je souhaitais. Je travaille sur l’œuvre de Lydie Salvayre depuis une dizaine d’années et on va dire que je suis identifié comme un « spécialiste » (je n’aime pas ce mot en recherche) de son œuvre, donc j’ai fait ce choix, et le choix des contributeurs et contributrices s’est fait en partie en collaboration avec elle (les artistes qu’elle admire en particulier).

En quoi ce livre est-il important/original/novateur ?

Il s’agit du 1er ouvrage collectif consacré à l’œuvre de Lydie Salvayre tout d’abord, qui fait partie à mon sens des autrices contemporaines qui comptent en ce qu’elle interroge et renouvelle les formes du littéraire. Elle a écrit une trentaine d’ouvrages depuis 1990 et a obtenu le prix Goncourt (qui n’est pas un gage de qualité mais d’audience) en 2014 pour Pas pleurer. Je peux ajouter que le principe même de la collection est original, puisque chaque volume comprend 8 études universitaires, 2 textes d’auteurs ou d’autrices, 2 textes d’artistes autres, un entretien, un inédit, une biographie et bibliographie (des œuvres et de la critique) ; c’est donc à chaque fois une somme très complète et avec des approches variées de l’œuvre. L’ouvrage aborde ainsi à la fois les dimension biographiques, historiques, politiques… de l’œuvre de Salvayre, mais aussi ses collaborations avec des musiciens (Serge Teyssot-Gay), des metteuses en scène (Monica Espina), la traduction de ses ouvrages en Angleterre…

Rêver debout avec l'autrice Lydie Salvayre
Copyright photo : Sophie Couronné

Quel rapport entretenez-vous avec Lydie Salvayre ?

J’ai découvert l’œuvre de Lydie Salvayre il y a 20 ans et l’ai lu avec enthousiasme. En tant qu’enseignant-chercheur, j’aime partager mes plaisirs de lecture avec les étudiant.es. J’ai donc commencé à utiliser certains passages de ses œuvres puis à mettre au programme des romans entiers, puis je l’ai invitée à rencontrer les étudiant.es (dans le cadre de « Bruits de langues » en 2011 et de « Filmer le travail » en 2012) ; puis j’ai écrit des articles sur ses œuvres, mené des entretiens avec elles… Puis, avec le livre, qui demande un travail de concertation très fréquent avec l’autrice, une relation amicale s’est développée ces dernières années.

Pouvez-vous nous dire pourquoi il faut découvrir cette autrice ?

Lydie Salvayre aime réunir les contraires : elle est à la fois fascinée par la langue française classique et la langue de tous les jours, dans ce qu’elle a de plus familier voire vulgaire. Cela crée des mélanges surprenants, comiques et politiquement signifiants (dans la distance envers les normes et les stéréotypes). Elle écrit à la fois également une œuvre très intime et inscrite dans la grande Histoire (comme Pas pleurer qui évoque sa mère et la guerre d’Espagne), une œuvre pour dénoncer la vulgarité (fréquente) du pouvoir (économique surtout dans Portrait de l’écrivain en animal domestique et La Médaille), et exprimer son admiration pour les œuvres d’autrices (7 femmes), d’Hendrix (Hymne), de Pascal (La Puissance des mouches), de son compagnon et éditeur Bernard Wallet (BW), de Giacometti (Marcher jusqu’au soir) et (annonce inédite) de Don Quichotte (Rêver debout, à paraître en septembre 2021).

Lequel de ses romans vous pourriez conseiller et pourquoi ?

Je crois que mon livre préféré d’elle est La Compagnie des spectres (1997) car il décrit une belle relation entre une mère et sa fille menacées d’expulsion par un huissier, qui est – pour la mère – une sorte de réincarnation ou de transposition moderne des collaborationnistes des années 1940. C’est un livre à la fois très drôle, stylistiquement très riche dans ses variations, et qui permet de réfléchir aux actualisations contemporaines de la collaboration, de la violence symbolique faite aux plus démunis… autant d’enjeux politiques très actuels, qu’elle aborde aussi dans Les Belles âmes (où des bourgeois de gauche vont visiter des « cités ») ou Tout homme est une nuit (sur le rejet des migrants).

Copyright photo : Sophie Couronné

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