Chacun connait Poitiers aujourd’hui, forte d’un positionnement reconnu dans le nord de l’Aquitaine. L’ouvrage collectif dirigé par Fabrice Vigier, maître de conférences d’histoire moderne - CRIHAM (université de Poitiers) est l’occasion de revenir sur son passé de grand centre administratif et politique depuis l’Antiquité jusqu’au 1er janvier 2016, date à laquelle Poitiers cesse officiellement d’être une capitale régionale pour devenir une simple agglomération. Fabrice Vigier nous invite à remonter le temps.

Quelle est la genèse de cet ouvrage ?

Fabrice Vigier : Au cours de l’année 2017, peu de temps après la refonte régionale qui faisait disparaître la région Poitou-Charentes, j’ai participé à un séminaire de la Fédération « Territoires », puis à un colloque sur le thème « Nouvelles régions et métropoles. La grande transformation ? ». Dans mon intervention, j’étudiais le passé institutionnel de la ville de Poitiers entre la fin du Moyen Age et la Révolution française. Mes recherches m’avaient fait constater combien la cité poitevine était alors attachée à son rôle de capitale de province entre le XVIe et le XVIIIe siècles. En 2019 j’ai moi-même organisé une table ronde « Poitiers, capitale de province de la période antique à 2015 », en faisant appel à mes collègues historiens spécialistes d’histoire régionale : Jean Hiernard pour l’Antiquité, Robert Favreau pour le Moyen Age et de Didier Veillon pour l’histoire contemporaine. Cet ouvrage est issu de cette rencontre qui avait connu un beau succès lors des Journées Européennes du Patrimoine. Y ont été ajoutées les contributions de Pascal Chauchefoin sur le Poitiers d’aujourd’hui, de Stéphane Mottet pour la conclusion, de Matthieu Lee pour la cartographie. L’ensemble des contributeurs sont des universitaires poitevins.

Redécouvrir l’histoire de Poitiers, capitale régionale

Quel est l’objet de cet ouvrage ?

FV : Le 1er janvier 2016, la ville de Poitiers cesse officiellement d’être une capitale régionale et devient une simple agglomération de la région Nouvelle Aquitaine. La perte de ce statut de chef-lieu de province n’est pas un épisode anodin. Il constitue un bouleversement pour la cité, qui perd son rôle administratif de commandement sur une grande partie des territoires du Centre-Ouest français.

Le présent ouvrage n’a pas pour ambition de faire de prospective sur le devenir de Poitiers, mais de revenir sur son passé de grand centre administratif et politique. Quelle était l’importance de la principale cité des Pictons à l’époque de la Gaule antique ? Pourquoi Poitiers devient-elle une ville si éminente au Moyen Age, au point d’être durant quelques années la capitale du royaume ? Sous l’Ancien Régime, comment réussit-elle à rester l’un des sièges essentiels des administrations royales de la monarchie ? Après la Révolution française, de quelle façon Poitiers parvient-elle à s’imposer et à redevenir la principale agglomération des pays poitevins et charentais ? Enfin, après la perte de son statut de capitale régionale (1er janvier 2016), quelles sont les forces et les faiblesses actuelles ? Ce sont là autant de questions auxquelles s’efforce de répondre cette publication.

Lorsqu’on examine la longue histoire administrative de Poitiers, quelle est l’originalité de cette cité ?

FV : De la période antique à la fin de l’année 2015, Poitiers est, presque sans discontinuer, capitale de province ou de région. Ce statut, qu’elle a conservé durant presque deux millénaires, a eu d’importantes répercussions sur ses infrastructures, sa sociologie, son patrimoine, son économie. Durant tout le Moyen Age, cette fonction de commandement sur toute une partie du Centre-Ouest français ne souffre aucune discussion. En effet, Poitiers est l’une des plus grandes villes françaises entre le Ve et la fin du XVe siècle, au même titre que des agglomérations comme Toulouse, Bordeaux, Rouen, Dijon, Lyon, Rennes, Nantes, Marseille, Montpellier, Grenoble ou Orléans. Cela explique que la cité poitevine s’impose comme la capitale de l’Aquitaine entre le IXe et le XIIe, puis comme le chef-lieu de l’une des provinces importantes du royaume entre le XIIIe et la fin du Moyen Age.

À partir de la Renaissance, Poitiers perd de son importance, elle ne profite pas de l’essor économique consécutif aux grandes découvertes, du développement commercial du siècle des Lumières, et encore moins de la révolution industrielle du XIXe siècle. Dès lors, la cité ne fait plus partie des plus grandes agglomérations françaises, mais reste pourtant chef-lieu de province ou de région. Malgré son déclassement démographique, elle réussit à chaque réforme importante, à être choisie comme siège des nouvelles grandes administrations, en faisant valoir sa situation géographique, son passé ou la présence en ses murs d’une grande université. C’est bien là que se situe l’originalité de l’histoire institutionnelle de Poitiers : avoir réussi à rester, pendant deux millénaires, capitale de province ou de région, alors que depuis cinq siècles une telle prééminence administrative n’allait pas forcément de soi. On ne trouve pas a priori de situation semblable parmi les autres villes de France.

Comment s’inscrit cette étude dans votre cheminement de chercheur ?

FV : Depuis presque trois décennies, mes recherches portent sur l’histoire du Poitou et du Centre-Ouest français aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. J’ai beaucoup étudié le clergé du diocèse de Poitiers au Siècle des Lumières, qui était l’objet de ma thèse de doctorat. Puis je me suis intéressé à d’autres thématiques : j’ai écrit plusieurs articles sur le monde des auberges et des cabarets poitevins aux XVIIe et XVIIIe siècles ; j’ai participé à la rédaction du Dictionnaire de l’université de Poitiers dirigé par Joël Dalançon. Enfin, depuis plus de dix ans, sous l’impulsion de Frédéric Chauvaud, j’ai mené des recherches sur le monde de la justice en Poitou à l’époque moderne.

Dans la continuité de mes investigations précédentes, il était presque naturel que je m’intéresse à l’histoire de la ville de Poitiers. Ce livre est le premier d’une collection intitulée « Poitiers. Histoire, identités, réalités et perspectives ». Sont ainsi envisagé toujours aux éditions Atlantique la publication d’autres ouvrages collectifs : un volume sur Poitiers, capitale judiciaire est en projet, un autre sur Poitiers, capitale de l’éducation est à l’étude. À moyen terme, la sortie régulière de nouveaux titres est prévue, traitant – avec une forte dimension historique – des autres grandes spécificités de la ville de Poitiers depuis ses origines.

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