Thierry Paillat (professeur) et Paul Leblanc (maître de conférences) appartiennent à l’équipe ÉlectroFluidoDynamique du laboratoire Pprime et encadrent le travail de thèse de Gad Rincon Mozo. Ils développent un projet de recherche autour des phénomènes de génération et de création de charges électriques aux interfaces solide-liquide et s’apprêtent à publier un article au titre prometteur dans une très prestigieuse revue : Mesure du profil local du potentiel électrique à l’interface solide-liquide induit par le phénomène d’électrisation par écoulement par une méthode capacitive [1].

Pouvez-vous nous expliquer sur quoi portent vos recherches ?

Oui, c’est beaucoup moins compliqué que cela n’en a l’air. Il s’agit en fait de problèmes d’électricité statique. La science de l’électrostatique s’est construite à partir d’observations simples. Thales de Milet, au VIe siècle av. J.-C., est le premier à mettre en évidence la force d’attraction pouvant se produire entre l’ambre préalablement frotté avec un ruban de soie et de petites particules légères (poussières, morceaux de plume…). Il faut attendre le XVIe siècle pour que ce phénomène soit observé avec d’autres matériaux. À la fin du XVIIIe siècle, Otto van Gericke met en évidence le principe d’attraction et de répulsion électrique et de nombreux autres scientifiques, au nombre desquels Benjamin Franklin, Carl Gauss, et Michael Faraday établissent en moins de 200 ans les fondements de l’électrostatique contemporaine.

Ces phénomènes sont donc bien connus ?

Connus, oui ; compris, pas vraiment. Or, de nos jours, ils représentent un enjeu industriel important. En effet, les transformateurs de puissance jouent un rôle essentiel dans le transport de l’énergie électrique. Ces transformateurs se composent d’un ensemble de bobines de cuivre gainées par du papier et isolées électriquement les unes des autres par un liquide isolant, généralement une huile minérale. Un ensemble de plaques de carton complète leur architecture interne, permettant à la fois d’augmenter la tenue mécanique du système et d’aménager des canaux de circulation du liquide pour un refroidissement optimal. Le bon fonctionnement de cet équipement est garanti par une bonne isolation électrique et un bon contrôle en température assurés par cette huile.

Le contact entre les plaques de carton, les éléments du gainage en papier et l’huile minérale conduit à polariser l’interface solide-liquide en deux zones de charges électriques distinctes (positive et négative) formant ainsi ce qu’on appelle la « double couche électrique » : une dans le solide isolant (carton et papier) et l’autre dans le liquide. La circulation de l’huile minérale au sein des transformateurs conduit à créer un phénomène d’électrisation par l’écoulement d’une partie de la double couche électrique.

Et c’est un problème ?

Un problème potentiellement très sérieux : ce phénomène est particulièrement redouté dans le monde industriel où il est à l’origine de nombreux accidents. Ainsi dans les années 1970 au Japon puis dans les années 1980 aux États-Unis. Au début des années 1990, des incidents surviennent en Afrique du Sud sur des transformateurs de puissances identiques à certains appareils du parc nucléaire Français. C’est alors qu’EDF s’est inquiétée et a lancé plusieurs études pour tenter de mieux en comprendre l’origine. C’est pourquoi l’institut Pprime a été sollicité pour apporter des solutions. Ce sont les travaux de G. TOUCHARD, professeur émérite (fondateur de l’équipe ÉlectroFluidoDynamique de l’Institut Pprime) et ceux de Thierry PAILLAT qui ont permis une avancée significative dans la compréhension du phénomène.

En quoi votre démarche est-elle novatrice ?

Jusqu’à présent, on avait une vision globale du phénomène. On le voyait, on savait qu’il se produisait (et on pouvait proposer des solutions pratiques aux industriels), mais sans que l’on comprenne vraiment le comment ni le pourquoi. Or, de récentes recherches ont mis en évidence l’importance d’un certain nombre de paramètres clés (viscosité, écoulement, frottement à la paroi…) qui n’étaient jusqu’alors que peu pris en compte dans la modélisation de ce phénomène. C’est dans ce contexte que Gad RINCON MOZO a entamé depuis 2 ans un travail de thèse permettant de décrire le comportement local d’un mécanisme de transfert de charges électriques induit lors d’une mise en écoulement d’un liquide. Nous avons réussi à développer une méthode permettant de mesurer et de décrire le phénomène de manière bien plus précise en particulier grâce à un capteur conçu à l’Institut Pprime. Nous espérons bien faire sauter un verrou technologique !

On peut donc dire que votre travail allie recherche fondamentale et appliquée…

En effet ! Nous avons pour ambition non seulement de permettre l’émergence de nouveaux modèles théoriques en rupture avec les actuels paradigmes mais aussi d’ouvrir la voie à l’émergence d’une nouvelle génération de composants plus performants au sein des systèmes énergétiques industriels. Ces modèles permettront de mieux comprendre les mécanismes de séparation de charge, la formation et l’évolution des zones chargées électriquement. L’accès à ces informations est essentiel dans le processus d’optimisation de l’efficacité énergétique et la fiabilité des futures batteries, surcapacités, piles à combustible ou bien encore des transformateurs de puissance évoqués plus haut.

Cette avancée des connaissances impactera directement le tissu économique de la région Nouvelle-Aquitaine à travers différentes entreprises comme par exemple la Saft, Arts Energy, Alstom. Ces recherches ont fait et font encore l’objet de nombreuses collaborations académiques (avec l’Institut d’Électronique du Sud à Montpellier, le laboratoire LAPLACE à Toulouse, le laboratoire de Physique et d’Étude des Matériaux à Paris Sorbonne) mais aussi des partenariats industriels (avec EDF, ALSTOM, Saint-Gobain…) et elles ont été présentées dans 2 congrès internationaux.

Figure 1 : Capteur avec vue sur la zone d’essai en carton

Figure 2 : capteur entièrement monté

Figure 2 : capteur entièrement monté

 

[1] Measure of a flow electrification potential profile at the solid-liquid interface with the Capacitive Traveling Method

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