Pourquoi est-ce si compliqué d’expliquer les recherches en mathématiques aux non spécialistes ?
SB : Les mathématiques regroupent énormément de spécialités différentes et il est même parfois complexe de se comprendre entre mathématiciens de différentes équipes tellement la spécialisation est poussée. Dans toutes ces spécialités, les chercheurs développent des concepts, des outils de calcul, des nouvelles méthodes de mathématiques qui correspondent à une façon très particulière de penser par la logique. Nous comprenons le monde à travers les mathématiques et c’est parfois difficile à partager.
Est-ce que les applications potentielles des mathématiques sont le moteur de la recherche ?
SB : On retrouve les mathématiques absolument dans tous les domaines. Et c’est toujours un émerveillement de voir que nos travaux sont appliqués dans un algorithme d’ordinateur ou de téléphone mais ce n’est pas notre moteur principal. Notre travail, c’est de développer la connaissance. Lorsque nous développons des mathématiques, il faut oublier les applications sinon nous risquons de prendre le chemin le plus direct, peut-être celui de la facilité, et de passer à côté de concepts plus importants. Nous nous laissons complètement partir, nous oublions la vie réelle, nous développons la mentalité du mathématicien par la logique, la beauté de l’équation, la beauté du raisonnement et nous voyons où cela nous mène. Cela permet de découvrir des voies qui n’auraient pas été envisagées si on avait décidé dès le départ où il fallait aller. Il est primordial de se laisser le temps de développer la recherche fondamentale et c’est forcément un temps long.
Le temps, une clé importante de la recherche en mathématiques ?
SB : C’est même l’abnégation du mathématicien ! Les fruits de nos recherches ne seront parfois utilisés que dans de nombreuses années. Des mathématiques vieilles de 2 siècles sont aujourd’hui dans les téléphones portables ! Nous développons des concepts, et quand ils seront suffisamment murs, les applications apparaitront d’elles-mêmes.
De plus, le temps long est nécessaire pour s’assurer de la solidité des concepts inventés. Ce n’est pas parce qu’un concept a été vérifié des centaines de fois qu’il est vrai. Il est vrai lorsqu’il a été démontré logiquement. Et on comprend bien que les applications doivent s’appuyer sur des mathématiques extrêmement bien maitrisées, sans marge d’erreur donc pour cela il faut du temps. Ensuite les théories ne seront jamais périmées, lorsqu’elles sont vraies, elles le sont pour toujours.
Pourquoi les mathématiques s’invitent souvent dans les autres sciences ?
SB : Beaucoup de domaines scientifiques ont besoin de mathématiques, ce qui nous amène souvent à collaborer avec des chercheurs de tous horizons comme par exemple en sciences pour l’ingénieur, chimie, biologie santé ou bien même paléontologie et sciences humaines. Cela peut partir d’une question concrète pour laquelle les techniques de résolution mathématiques disponibles pour ces chercheurs sont insuffisantes. Ils font appel aux mathématiciens qui vont inventer de nouveaux outils développés sur la base de théories qui n’avaient pas encore été appliquées dans ces domaines. A Poitiers, par exemple, nous avons récemment travaillé avec Germain Rousseau, au laboratoire P’, pour expliquer le phénomène des eaux mortes.
Ce sont souvent des collaborations très inspirantes, qui parfois peuvent être menées à bien relativement rapidement mais qui parfois, lorsque les mathématiques ne sont pas encore assez puissantes, nécessitent de développer de la recherche fondamentale.