L’émission « Complément d’enquête » du jeudi 19 février dernier sur France 2 a traité de la lutte contre le trafic des biens culturels dans les pays en conflit. On a pu y voir Vincent Michel, professeur en histoire de l’art et archéologie de l'Antiquité classique d'Orient et directeur du laboratoire Herma* de l’université de Poitiers interviewé pour son expertise en matière d’identification d’œuvres volées. L’occasion pour nous de rencontrer l’archéologue poitevin.

Depuis une quinzaine d’année, Vincent Michel est expert auprès des douanes et de la police (OCBC) en matière de lutte contre le trafic illicite de biens culturels. Orientaliste, spécialiste du monde arabe, il est chef de plusieurs missions archéologiques en Libye et en Palestine depuis plus de vingt ans.

Comment êtes-vous devenu expert du trafic de biens culturels ?

Lorsque j’étais jeune, j’étais passionné par l’histoire et la valeur des objets. Je rêvais de devenir commissaire-priseur. En parallèle d’études de droit, je me suis formé à l’École du Louvre et à la Sorbonne et, à l’occasion de mon service civil comme coopérant au Consulat Général de France à Jérusalem, j’ai découvert l’archéologie orientale qui finalement m’occupe depuis 1994 sur des chantiers en Palestine, Jordanie, Kurdistan, Libye, et même en Sicile… ! Ce parcours m’a donné les cartes nécessaires pour agir aussi pour la sauvegarde du patrimoine et lutter contre le trafic illicite des biens culturels. Je suis devenu une sorte d’interface dans cette lutte, intervenant dans des actions de formations et de sensibilisation, croisant les disciplines depuis l’identification des objets volés jusqu’à leur judiciarisation en France et à l’étranger.

Que savons-nous de ces trafics ?

Plusieurs événements ont provoqué émoi et prise de conscience collective. La destruction du musée de Mossoul par les djihadistes de l’État islamique en février 2015, les occupations et démolitions de monuments antiques à Palmyre, en Syrie, par ce même État islamique de 2015 à 2017 et les attentats commis par les terroristes en occident ont mis en lumière la stratégie de financement et de propagande du terrorisme par le trafic de biens culturels.

On sait également que le trafic d’œuvres volées va utiliser les réseaux existants, c’est-à-dire ceux de la drogue et des armes. La hausse de la demande dans un marché prospère et légal, pesant 63,7 milliards d’euros (2018), entraîne de facto le développement d’un marché parallèle et illégal. Cela encourage les vols, les pillages, les fouilles clandestines et le trafic illicite. Les amateurs éclairés, les professionnels, la petite délinquance ou les groupes criminels s’en servent comme alternative à des investissements plus traditionnels, parfois même comme source de blanchiment.

À l’international, les trafics vont s’établir entre les pays en conflit où sont commis les pillages et les pays de revente en privilégiant ceux qui disposent de peu de moyens légaux pour les contrecarrer et ceux qui disposent des capitaux nécessaires pour les acquérir.

 Comment fait-on pour repérer les œuvres volées ?

Questions délicates ! Il y a deux catégories d’objet, ceux qui ont été volés dans des collections publiques ou privées qui sont inventoriées ; ceux sont les plus faciles à retrouver car ils sont connus, répertoriés et photographiés ! Ils feront l’objet de recherches ciblées grâce à des fichiers comme celui d’Interpol. En revanche, le plus compliqué provient des objets issus des fouilles clandestines et qui par essence, ne sont pas inventoriés et que le marché illégal mais aussi légal met en vente avec des informations mensongères. Comme les enquêteurs, nous appliquons la méthode des faisceaux d’indice concordant afin de dévoiler les objets au pedigree douteux, à la provenance ou à l’identité étrange. Grâce notamment aux Listes rouges publiées par l’ICOM**, rassemblant les catégories d’objets particulièrement menacés par le pillage, il s’agit d’inciter les douaniers ou les organisateurs de vente à vérifier avec diligence les provenances s’ils sont en présence d’objets similaires.

Il est important que l’ensemble des acteurs soient sensibilisés et formés (policiers, douaniers, magistrats…). Je dis souvent à mes étudiants de devenir acteur de la lutte contre ce trafic. Tout en menant une recherche bibliographique classique, ils doivent aussi quitter les sentiers battus et faire leur recherche sur le marché de l’art ou sur les réseaux sociaux, en menant leur propre enquête.

Que peut-on faire face au trafic ?

On est face à un comportement criminel complexe et transnational, de vols, de pillages, d’exportations illicites, qui exige un certain degré d’organisation de la part des malfaiteurs et la réponse doit être tout aussi ferme des enquêteurs et de la justice. Tout le monde est d’accord pour condamner mais cela ne suffit pas. Il faut mettre les moyens nécessaires pour lutter contre ces trafics. En Italie, 300 carabiniers sont mobilisés sur ce sujet, contre une trentaine en France et 1 seul en Belgique par exemple. Trop peu d’affaires sont judiciarisées et trop peu de magistrats sont sensibilisés et formés, d’où la nécessité en France de créer un parquet national des biens culturels et en Europe d’uniformiser le droit et les pratiques.

Un autre levier consiste à sensibiliser la population locale sur l’importance de protéger leur patrimoine. Pour cela, il faut décourager les fouilles clandestines et dévastatrices, notamment celles menées au moyen des détecteurs de métaux, rendre invendables les antiquités obtenues et punir lourdement les pilleurs.

Dans la continuité des journées d’étude organisées à Poitiers sur cette thématique et toujours dans une démarche de sensibilisation et de formation, je prépare une exposition sur la lutte contre le trafic illicite des biens culturels : un combat d’urgence patrimoniale » au musée du Louvre à partir de juin à décembre 2020 avec Ludovic Laugier, conservateur au département des AGER***. Elle présentera pour la première fois en France des biens archéologiques saisis par les douanes en provenance du moyen orient et de Libye. Ces objets sont en cours d’instruction …

*Herma : Hellenisation et romanisation dans le monde antique

** Icom : Conseil International des Musées.

*** AGER : Département des Antiquités Grecques, Étrusques et Romaines, Musée du Louvre

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