Une prise de conscience collective
À partir de 2011, le Printemps arabe a plongé plusieurs pays d’Afrique du nord et du Moyen-Orient dans le chaos ; les guerres civiles et fratricides ont bénéficié aux forces terroristes comme Daech, Al Nosra, Al Qaida qui sont montées en puissance. Ces régions sont ainsi devenues en proie à des destructions et à des pillages. « Soit en détruisant pour détruire, comme le fait Daech dans sa guerre d’image, soit parce que dans ces pays de non-droit, l’urbanisme incontrôlé fait disparaitre des sites archéologiques entiers ainsi que des objets » détaille Vincent Michel. « Il n’y a plus d’État pour faire respecter la loi. »
Plusieurs événements ont provoqué émoi et prise de conscience collective. La destruction du musée de Mossoul par les djihadistes de l’État islamique en février 2015, les occupations et démolitions de monuments antiques à Palmyre, en Syrie, par ce même État islamique de 2015 à 2017 et les attentats commis par les terroristes en occident ont mis en lumière la stratégie de financement et de propagande du terrorisme par le trafic de biens culturels.
« Devant le saccage, pillage et trafic illicite de ces trésors archéologiques d’une valeur historique inestimable, il fallait réagir » explique Vincent Michel.
Sensibiliser et coordonner les acteurs
À l’échelle nationale, les autorités françaises ont mis en place des dispositifs pour la préservation du patrimoine mondial dès 2015. Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre a remis un rapport de 50 propositions pour protéger le patrimoine de l’humanité, à la demande du président François Hollande. S’en sont suivi deux lois, adoptées en juin et juillet 2016, sur la circulation et la protection des biens culturels. Les ministères de la Culture, des Affaires étrangères, de l’Intérieur se sont tour à tour emparés du sujet en organisant des journées d’études favorisant la rencontre des spécialistes du trafic des biens culturels.
À Poitiers, une première journée d’études avait été organisée en mars 2016 à l’initiative de Vincent Michel sur l’articulation entre services d’enquête et archéologues, puis une deuxième en 2018. Cette troisième rencontre scientifique a pour objectif de croiser les actions menées par la France et par plusieurs pays de la Méditerranée, témoignant d’une nécessaire interdisciplinarité pour une meilleure lutte contre ce fléau, de l’identification des objets illicites à la judiciarisation des affaires.
« Ces journées d’études permettent de resserrer les liens entre les principaux acteurs, de mener une réflexion sur les outils à développer pour lutter efficacement et sensibiliser le monde judiciaire, précise Vincent Michel. En effet, sur près d’une centaine de constatations de trafic de bien culturel en 2017 en France, peu d’affaires ont fini au tribunal. Les juges ne sont pas assez sensibilisés à la protection du patrimoine pendant leur formation et ces affaires passent en second plan une fois en poste, du fait de l’engorgement des tribunaux et de la priorisation des affaires, « ce qui peut être compréhensible face à des cas d’homicides ou de vols à mains armés ».
Dans cette lutte, il est capital que « chacun travaille selon sa spécialité mais sans ignorer l’autre » rappelle Vincent Michel. Il s’agit donc de sensibiliser et de coordonner cet ensemble pour plus d’efficacité. L’archéologue doit pouvoir accompagner les services d’enquêtes et les magistrats, depuis la perquisition jusqu’au procès.
« Quand on sait que l’art arrive au troisième rang des trafics après la drogue et les armes et représente entre 150 millions et 15 milliards de dollars par an, il y a urgence. Outre cet aspect financier, le rapport de plus en plus évident avec le terrorisme, ce sont des pans entiers de notre histoire qui disparaissent dans les mains des pilleurs » insiste l’archéologue Vincent Michel.
En savoir plus sur le colloque !
*Herma : Hellenisation et romanisation dans le monde antique
** MSHS : Maison des sciences de l’homme et de la société
*** en collaboration avec l’Espace Mendès-France et la DRAC Nouvelle-Aquitaine