Malgré le succès actuel du courant Droit et Littérature, il n’existait jusqu’alors aucune étude d’ensemble consacrée au droit administratif. C’est ce manque que les scientifiques de l’université de Poitiers entendent en partie combler grâce à un nouvel ouvrage. A l’occasion de la sortie du livre « les racines littéraires du droit administratif » co-dirigé par Anne-Laure Girard, Adrien Lauba et Damien Salles, nous avons rencontré Anne-Laure Girard, professeure de droit public à l’université de Poitiers.

Quelle est la genèse de cet ouvrage ?

L’humain est au cœur de ce projet d’ouvrage.

D’abord parce qu’il s’agit d’un hommage à mon directeur de thèse, Jean-Jacques Bienvenu, Professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, qui a disparu en janvier 2017. Dans les années 1980, il avait perçu toutes les virtualités du courant « Droit et Littérature » pour la connaissance du droit administratif et avait ardemment souhaité que de telles études se développent. Le projet était si vaste et ambitieux qu’il n’avait donné jusqu’alors naissance qu’à quelques articles épars. Un ouvrage collectif, unissant les efforts et compétences d’historiens du droit, de spécialistes de droit administratif, tous pétris de culture littéraire, semblait nécessaire pour compléter les investigations.

Ensuite parce cet ouvrage est une histoire d’amitié. Damien Salles (Professeur d’histoire du droit à l’université de Poitiers), Adrien Lauba (Maître de conférences en histoire du droit à l’Université de Poitiers) et moi sommes notamment unis par notre appétence commune pour l’histoire, le droit administratif et la littérature. Il nous tenait à cœur de mener cette collaboration majeure entre l’Institut de droit public (IDP) et l’Institut d’histoire du droit (IHD) afin d’attester de l’unité de la science juridique, malgré la séparation nécessaire entre différents laboratoires de recherche.

Quel est l’objet de cet ouvrage ?

L’ouvrage a pour ambition d’offrir un regard neuf sur la discipline qu’est le droit administratif. Un regard littéraire. Et ce regard littéraire n’est ni un simple exercice d’érudition, ni « un passe-temps humaniste pour juristes en quête d’un supplément de poésie », selon les mots de François Ost, l’un des piliers du courant « Droit et Littérature » en Europe, et qui nous a fait l’honneur de collaborer à cet ouvrage. Mon objet d’étude est et reste le droit administratif. Lors de mes précédents travaux, j’avais eu recours à une méthode historique pour comprendre les concepts qui irriguent aujourd’hui le droit administratif. Cet ouvrage va plus loin encore dans le décloisonnement des savoirs pour affiner la compréhension de la manière dont se forme la science du droit administratif.

Le droit administratif, qu’est-ce que c’est ?

Le droit administratif constitue l’une des principales branches du droit public. Selon une approche nécessairement simplifiée pour cette interview, il désigne le droit applicable à l’Administration, que ce soit à ses organes (préfets, maires, ministres, autorités de régulation etc.), à ses actes (marchés publics, règlements, circulaires etc.), à ses finalités (police, service public), à ses moyens (agents publics, propriétés publiques etc.). Mais l’ouvrage ne s’intéresse pas tant à ces règles qui régissent effectivement l’Administration qu’à la façon dont ce droit est transmis par les professeurs (notamment dans leurs ouvrages d’enseignement et scientifiques) à leurs pairs et à leurs étudiants, futurs avocats, juges et praticiens du droit administratif. Il s’agit d’étudier comment s’est formée cette culture commune aux administrativistes, les mythes qui les soudent, les grands auteurs qui les unissent, les formules qu’ils répètent, parce que leur beauté littéraire les dote d’efficience alors même qu’elles ne sont pas exactes sur le plan juridique. La compréhension de cette culture commune supposait aussi d’explorer les récits que la littérature consacre aux acteurs du droit administratif.

Comment s’inscrit cette étude dans votre cheminement de chercheuse ?

Cela fera dix ans en décembre prochain que j’ai soutenu ma thèse. J’arrive à un stade de ma vie professionnelle où je ressens le besoin de produire un nouvel ouvrage scientifique personnel, consacré à l’écriture doctrinale du droit administratif. L’ouvrage collectif que nous avons codirigé, Adrien Lauba, Damien Salles et moi, se présente comme un premier jalon dans le tournant que j’ai amorcé il y a trois ans en direction du courant « Droit et Littérature ». La richesse et la finesse des trouvailles des contributeurs de l’ouvrage m’encouragent à approfondir et à perpétuer ce regard littéraire et historique sur la science du droit administratif.

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