Ancien étudiant à l’université de Poitiers, Sébastien Goudeau est aujourd’hui maître de conférences en psychologie. Après six ans d’expérience de professeur des écoles, il a suivi un master et soutenu une thèse en psychologie sociale sur la question de la reproduction des inégalités scolaires. Revenu enseigner à Poitiers après quelques années à l’université Paris Descartes, ce professeur poitevin a fait des inégalités scolaires son sujet de prédilection. Membre du laboratoire CeRCA et plus particulièrement de l’équipe « Cognition sociale », Sébastien Goudeau étudie l'impact des situations et des contextes sur les apprentissages et les inégalités. Cet intérêt pour les inégalités scolaires est venu d’un paradoxe qu’il a constaté : la conscience chez les enseignants des inégalités scolaires et la persistance de certaines méthodes accentuant ces inégalités. Depuis sa thèse, il étudie ces questions-là et en a fait un livre, qu’il présente aujourd’hui, Comment l'école reproduit-elle les inégalités ?

Au sein du laboratoire CeRCA (Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage), qui travaille sur les questions de langage, d’apprentissage ou de mémoire, Sébastien Goudeau fait partie de l’équipe de recherche « Cognition Sociale ». Il y effectue des recherches et des travaux en psychologie sociale, plus précisément centrés sur l’influence du contexte, des situations et des interactions sur l’individu. Cette approche de la psychologie permet aussi bien de travailler sur des questions de santé ou de bien-être. Mais le sujet qu’a choisi Sébastien Goudeau est celui des inégalités scolaires. En effet, la psychologie sociale permet de mettre en lumière un certain nombre de pratiques et de situations qui ont une influence sur les parcours scolaires d’individus en fonction de leur origine sociale, de leur genre…

« En psychologie, on a moins la culture du livre que dans d’autres disciplines comme la sociologie où l’histoire. Suite à l’écriture de ma thèse, j’ai eu envie d’en faire un livre de vulgarisation, explique Sébastien Goudeau. Nous sommes dans une période où on parle beaucoup de réformer l’éducation nationale, de former les enseignants en s’appuyant sur la recherche et c’est vrai que la plupart des recherches qui sont mobilisées sont des recherches de psychologie cognitive. Si on regarde la composition du conseil scientifique de l’éducation nationale, beaucoup sont en psychologie cognitive, en neurosciences… Je trouve que les travaux de psychologie sociale sont moins connus. C’est pour ça que j’ai eu envie de faire un livre qui est une synthèse sur les travaux de psychologie sociale qui permettent de montrer le poids des situations scolaires dans la construction des inégalités. Ce regard-là est complémentaire à celui de la psychologie cognitive et de la sociologie. »

Une méthodologie scientifique

Pour mener ses travaux, Sébastien Goudeau a procédé comme on le ferait pour l’expérimentation d’un médicament. Plutôt que de donner un médicament à un groupe, et un placebo à un autre, il a mis deux groupes d’élèves dans une situation différente alors qu’ils avaient le même travail à réaliser. « Par exemple, nous avons soumis des élèves à une tâche de lecture-compréhension. Alors qu’un premier groupe d’élèves pensait qu’il d’une évaluation de leurs capacités, nous avons indiqué au second groupe que cette évaluation devait permettre de tester un manuel scolaire, et que nous cherchions à comprendre s’il était adapté à l’âge des enfants… Ensuite, nous avons regardé si cette situation avait influencé leurs performances et si des écarts plus ou moins importants en fonction de l’origine sociale des élèves pouvaient être identifiés. »

Au cours de tels travaux, les postulats construits sont multiples. L’un deux, semble assez évident : les stéréotypes poursuivent souvent les élèves issus de milieux populaires. En effet, ils sont souvent la cause de nombreuses pressions, elles-mêmes entraînant des décrochages, puis des inégalités. En situation d’évaluation, les élèves se considérant moins intelligents que les autres auront tendance à moins bien réussir que les autres. La clé de ce mécanisme est donc de neutraliser ces stéréotypes selon Sébastien Goudeau. De plus, il est primordial d’endiguer les pratiques compétitives de certains enseignants : « Le fait de mettre des notes et de les rendre dans un certain ordre par exemple, même si c’est de moins en moins courant, ou de comparer les élèves de façon explicite est néfaste. Les systèmes de récompense vont exacerber les différences et essentialiser la réussite, cela participe à une spirale négative. »

Des inégalités préexistantes aux différences exacerbées

« On voit bien que l’école enregistre des inégalités qui sont préexistantes. Cette croyance dans l’égalité des chances transforme ces inégalités en différences de mérite, comme le disaient Bourdieu et Passeron. Ces différences qui préexistent vont se rencontrer dans la classe et d’un point de vue psychologique, les élèves vont les interpréter comme des différences d’intelligence. L’intérêt de la psychologie c’est d’aller voir comment les élèves perçoivent ces différences, comment ils les expliquent, et quelles conséquences elles ont. […] On fait des observations vidéo dans des classes de maternelle pour essayer d’aller mesurer les inégalités dans les interactions quotidiennes, dans les prises de parole notamment. Voir quels sont les élèves qui prennent la parole, quels sont les élèves qui s’expriment, qui sont interrogés. Il y a des différences en fonction de l’origine sociale, en fonction du genre, et tout ça très tôt. Il y a déjà des hiérarchies qui se mettent en place entre les élèves. »

Les recherches de Sébastien Goudeau s’intéressent également aux étudiants. Même sur les bancs de l’université, des inégalités persistent : « J’ai un doctorant qui travaille sur la socialisation universitaire, qui examine comment est-ce que les étudiants de milieux populaires arrivent à l’université. On pourrait penser qu’ayant été socialisés pendant 15 ans dans le système scolaire ils entrent à l’université sur un pied d’égalité avec les étudiants de milieux favorisés. Ce n’est pas le cas, notamment en matière de choix d’études. » Ainsi les étudiants issus de milieux populaires ont accès à des filières moins prestigieuses, tandis que les étudiants plus favorisés sont plutôt incités à suivre des études longues, moins professionnalisantes.

Alors comment peut-on espérer réduire ces différences ? Pour Sébastien Goudeau, l’une des clés est de trouver un moyen de réduire le sentiment de compétition qui existe entre des élèves peu importe leur âge : « Il faut restaurer une conception un peu plus malléable des capacités, en expliquant aux élèves que les capacités peuvent se développer, que ce n’est pas figé. Cela a des conséquences bénéfiques pour les élèves et notamment les élèves les plus en difficulté. »

Aujourd’hui, ces inégalités ne semblent pas diminuer selon Sébastien Goudeau. Même si de plus en plus d’individus de milieux populaires accèdent aux études supérieures, ils restent moins présents dans les filières réputées prestigieuses. Il faut alors distinguer « démocratisation qualitative et démocratisation quantitative » explique Sébastien Goudeau. Verra-t-on ces inégalités disparaître ? Pour y tendre, une des pistes à suivre est « d’induire une conception malléable de l’apprentissage et des capacités » selon l’auteur, « Il faut trouver une manière d’éradiquer la perception que certains élèves de milieu défavorisé ont d’eux-mêmes : moins intelligents, moins courageux, moins doués… »

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