Olfa Ben Ahmed est maîtresse de conférences en informatique à l’université de Poitiers et chercheuse au laboratoire XLIM (université de Poitiers et de Limoges/ CNRS). Elle coordonne un projet de recherches financé par la région de Nouvelle Aquitaine (AAP 2019) en collaboration avec des chercheurs du Laboratoire de mathématiques et applications (université de Poitiers / CNRS), du CHU de Poitiers, de l’industriel Siemens, au sein du LabCom CNRS I3M ainsi que du laboratoire Ischémie reperfusion en transplantation d’organes mécanismes et innovations Thérapeutiques (université de Poitiers / INSERM) et du Centre d’investigation clinique de Poitiers (INSERM).

Vous travaillez sur la maladie d’Alzheimer, un problème majeur de santé publique. Pouvez-vous nous rappeler quelques chiffres ?

La maladie d’Alzheimer est actuellement la maladie neurodégénérative la plus fréquente au monde. Il s’agit d’une maladie évolutive et irréversible. Les sujets présentent des troubles de mémoire, du comportement et du langage qui conduisent, inexorablement, à une perte d’autonomie. En 2015, 900 000 personnes étaient atteintes par la maladie en France et ce nombre devrait tripler en 2021 pour atteindre 3 millions de personnes ! On estime aujourd’hui en France à 33 000 le nombre de patients de moins de 60 ans atteints de la maladie.

Or, la Région Nouvelle-Aquitaine est d’autant plus concernée (25 000 cas en 2015) qu’elle est la région de France où la population est la plus âgée. C’est pourquoi, identifier à un stade précoce les patients à risque de développer la maladie (avec plaintes cognitives isolées ou troubles neurocognitifs mineurs), constitue un enjeu urgent de santé publique pour les autorités sanitaires, afin d’optimiser la prise en charge des patients et de soutenir les aidants. Bien que la maladie d’Alzheimer demeure actuellement incurable, une détection précoce permet d’anticiper, de favoriser la stimulation cérébrale, et d’améliorer la vie du patient et de son entourage.

L’expression “biopsie virtuelle” est très intrigante. De quoi s’agit-il ?

Médecins, mathématiciens et informaticiens vont unir leurs efforts pour tenter de détecter précocement la maladie ou de prédire d’une façon fiable et non invasive son évolution. Ces chercheurs travaillent ensemble pour créer, à l’aide de l’intelligence artificielle, un modèle numérique d’aide au diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. En effet, sur le plan physiopathologique, cette maladie est caractérisée par l’association de lésions neuro-pathologiques cérébrales qui sont visibles par imagerie à résonance magnétique (IRM) anatomique, mais qui ne sont pas toujours spécifiques à la maladie d’Alzheimer : cela n’est donc pas suffisant pour établir une signature spécifique à la maladie à un stade précoce.

Or, des recherches récentes ont permis d’identifier des marqueurs neurobiologiques spécifiques basés principalement sur la neuro-imagerie métabolique et l’analyse du liquide céphalo-rachidien (LCR), qui permettent de poser le diagnostic de façon quasi certaine et à un stade précoce. On sait désormais que les lésions cérébrales commencent 15 à 20 ans avant les premiers signes cliniques de la maladie. Cependant, prélever le LCR par ponction lombaire est un geste invasif qui n’est pas recommandé au stade de plainte cognitive isolée.

C’est là tout le cœur de ce projet ! Nous proposons d’analyser les métabolites cérébraux par spectroscopie par résonance magnétique (SRM). Cette dernière permet une analyse non invasive du cerveau et donc la réalisation d’une biopsie virtuelle fonctionnelle qui représente un enjeu de taille pour le diagnostic précoce et le pronostic de la maladie. Pour l’instant, cette technique est très peu explorée en raison du manque de bases de données et de la complexité des traitements des données SRM.

Comment les chercheurs vont-ils procéder ?

Il faut d’abord préciser que nous bénéficions d’un nouveau matériel. Depuis janvier 2020, l’installation d’une nouvelle IRM 7 Tesla en usage recherche et clinique au CHU de Poitiers, unique en France en usage clinique, est une réelle opportunité sur notre territoire. C’est une IRM à très haut champ qui permet de détecter, in vivo, grâce à la qualité des images produites, des détails intéressants pour prédire la survenue de la maladie. Ce nouvel équipement va contribuer au rayonnement de Poitiers et de la région Nouvelle-Aquitaine dans le domaine du numérique pour la santé.

Ensuite, le projet est multidisciplinaire et transversal.  C’est pourquoi nous allons procéder à des recherches selon 3 axes complémentaires.

Dans un 1er temps, les médecins et les mathématiciens vont identifier les métabolites spécifiques caractéristiques de la maladie d’Alzheimer chez des groupes de patient sains et d’autres avec une maladie d’Alzheimer avérée à travers une étude clinique chez des patients consultant pour plainte de mémoire au Centre mémoire de ressources et de recherche du CHU de Poitiers. Ces travaux vont permettre l’identification de nouveaux biomarqueurs spécifiques et prédictifs du statut cognitif et d’autonomie chez des patients.  C’est la biopsie virtuelle.

Dans un 2e temps, on s’intéressera au développement des outils automatiques de prétraitement et de quantification des données SRM 3T et 7T. Enfin, dans un 3e temps, nous allons développer des approches d’intelligence artificielle pour l’aide au diagnostic précoce automatique de la maladie d’Alzheimer. L’apprentissage profond (deep-learning) est un type d’intelligence artificielle dérivé de l’apprentissage automatique, où la machine est capable d’apprendre par elle-même à partir des données disponibles pour faire une prédiction. Elle a montré son succès dans plusieurs domaines

Nous visons ainsi à mettre en place un système automatique pour aider les cliniciens dans le processus de diagnostic précoce et prédiction de la maladie d’Alzheimer pré-démentielle d’une manière non-invasive.

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