Depuis les années 1950, on pensait que la seule source d’énergie utilisée par le cerveau était le glucose. Il y plus de 25 ans, Luc Pellerin, spécialiste du métabolisme cérébral, a montré in vitro le rôle du lactate : un dérivé du glucose considéré jusqu’alors comme un déchet potentiellement dangereux pour les neurones. Aujourd’hui chercheur au sein du laboratoire Ischémie reperfusion en transplantation d'organes mécanismes et innovations thérapeutiques – Irtomit (université de Poitiers / Inserm), Luc Pellerin démontre que ce lactate est un substrat essentiel pour le fonctionnement des neurones et des fonctions cérébrales. Ces travaux réalisés en collaboration avec une équipe de l'université de Bordeaux, viennent de faire l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Proceedings of the National Academy of Sciences USA.

Les études menées il y a 25 ans ont montré que les astrocytes, des cellules qui contribuent à la structure du tissu cérébral, avaient la faculté de détecter l’activité des neurones et donc leur besoin énergétique. Pour répondre à ce besoin, les astrocytes utilisent le glucose pour fabriquer du lactate qui sera libéré comme substrat énergétique pour les neurones. Ce mécanisme est appelé « navette lactate astrocytes neurone ».

Démonstration in vivo

« Réaliser cette démonstration in vivo est très difficile », explique Luc Pellerin. « Nous n’avions pas les moyens de visualiser l’utilisation spécifique du glucose et du lactate. Nous avons donc adopté une stratégie innovante en invalidant de manière sélective les transporteurs du lactate (astrocytaires et neuronaux) afin de voir quels étaient les impacts sur l’activation cérébrale chez le rat ».

Pour cela, le chercheur a regardé, grâce à des techniques de résonance magnétique nucléaire, comment était activée la région cérébrale appelée « cortex somatosensoriel » lorsque les moustaches du rat (vibrisses) étaient stimulées. « En fonctionnement normal, on voit bien une augmentation du lactate. Lorsque l’on invalide le transporteur du lactate, soit sur les astrocytes, soit sur les neurones, l’augmentation du lactate disparait ».

Ensuite, grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, il a constaté que l’activation neuronale ne fonctionnait plus suite à l’invalidation du transporteur neuronal, ce qui suggérait que le lactate était effectivement nécessaire pour que le neurone puisse s’activer.  Par contre, suite à l’invalidation du transporteur astrocytaire, l’activation était devenue impossible seulement pour la moitié des rats testés. Pour l’autre moitié, les neurones avaient suffisamment de lactate pour fonctionner.  « Nous avons injecté du lactate dans la circulation sanguine des rats dont l’activation était stoppée, et nous avons constaté que l’activation neuronale réapparaissait. Ce qui montre que c’est bien le lactate produit par les astrocytes, qui permet aux neurones d’être activés ! ».

Luc Pellerin a également démontré le rôle du lactate par des tests comportementaux sur les rats. Des rongeurs ont été mis en présence de 2 objets qu’ils avaient déjà rencontrés, identiques visuellement mais de texture différente. « Lorsque nous avons invalidé les transporteurs au lactate dans le cortex somatosensoriel qui s’active lors de la sollicitation des vibrisses, les animaux ont su reconnaître visuellement les objets mais ont été incapables de le faire grâce à leurs vibrisses ».

Ouvrir la voie vers de nouvelles recherches sur les maladies neurodégénératives

Il a été montré que dans le cas de maladies neurodégénératives, comme Alzheimer par exemple, dans les zones du cerveau qui dégénèrent suite à des pertes neuronales, il y a une réduction de la consommation de glucose. Luc Pellerin explique : « On a longtemps pensé que c’était la conséquence de la perte de neurones. Mais lorsque l’on regarde ce qui se passe à un stade très précoce, où la maladie est encore asymptomatique, on constate déjà une réduction de la consommation de glucose alors qu’il n’y a pas encore de perte neuronale, ce qui suggère un dysfonctionnement métabolique. Une hypothèse de travail serait de se demander comment agir sur cette capacité de transfert de lactate afin d’améliorer les conditions de préservation des neurones et donc d’empêcher la maladie ».

 

C’est donc la 1ere fois que l’on établit in vivo l’importance du transfert de lactate sur l’activation neuronale. Alors que l’on pensait que l’accumulation du lactate conduisait à des dysfonctionnements neuronaux, il s’avère en fait que ce sont certaines situations pathologiques qui empêchent la consommation du lactate et donc entrainent son accumulation. Le chercheur conclue « On change aujourd’hui notre manière de considérer le lactate. Nous savons qu’il est un substrat essentiel pour soutenir l’activité des neurones et qu’il est produit pour ça. J’ai mis 30 ans à le démontrer en essuyant pas mal de critiques. Maintenant que nous savons que le lactate est essentiel pour alimenter les neurones et permettre les fonctions cérébrales, nous allons explorer le rôle véritable du glucose parce que personne n’a encore cherché à le montrer ! ». Ces nouveaux travaux sont financés dans le cadre d’une ANR en partenariat avec l’université de Bordeaux, le CEA à Paris et l’université fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil .

Les recherches de Luc Pellerin et ses collègues ont été mises en images dans le cadre d’une BD « Lacate power » réalisée par le Dr. Anne-Karine Bouzier-Sore et l’artiste Matyo financée par l’université de Bordeaux.

 

 

 

Luc Pellerin

Luc Pellerin est Canadien. Après des études à Montréal, il fait son post-doc à l’université de Lausanne et y passe 29 ans où il devient professeur et directeur du département de physiologie. Il a intégré le laboratoire Irtomit (université de Poitiers – Inserm) en 2019. Ce laboratoire spécialisé dans l’ischémie reperfusion en transplantation, notamment rénale, a fait appel à Luc Pellerin pour transférer son expertise sur le métabolisme, dans le domaine de la transplantation. Dans la mesure où le concept de navette lactate a été constaté dans différents tissus et organes, de nouvelles recherches menées au laboratoire vont explorer l’optimisation de ce mécanisme afin d’améliorer la conservation et la reprise de fonction des greffons.

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