François Jerôme, directeur de recherche au sein de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers - IC2MP (université de Poitiers / CNRS) a reçu la médaille de l'innovation 2021 du CNRS. Cette distinction récompense des « personnalités dont les recherches ont conduit à des innovations marquantes valorisant la recherche scientifique française ».

François Jerôme est spécialiste de la catalyse en chimie du végétal. Il cherche à concevoir des molécules biosourcées qui pourront être utilisées par les industriels dans la fabrication de leurs produits.

Pourquoi s’orienter vers la chimie du végétal ?

FJ : Aujourd’hui, l’immense majorité de la chimie est basée sur l’utilisation du carbone fossile (pétrole, gaz naturel et charbon). Nous avons pour objectif de substituer ce carbone fossile par du carbone renouvelable et en particulier par du végétal. Les molécules créées peuvent être des tensioactifs pour la conception de produits cosmétiques, des monomères qui vont servir à faire des polymères (pour remplacer les coques plastiques des téléphones par exemple) ou bien encore des solvants (détergents, peintures). On retrouve de plus en plus ces molécules d’origine végétale dans nos produits du quotidien mais leur déploiement dans la société reste difficile. La chimie s’est développée autour de la pétrochimie depuis une centaine d’année. Les prémices de la chimie du végétal ne datent que de 20 ans. Passer de la pétrochimie à la chimie du végétal est un virage complexe pour les industriels qui doivent repenser leurs procédés, et cela prend forcément du temps.

Comment fait-on de la chimie du végétal ?

FJ : Très schématiquement, nous faisons réagir des molécules d’origine végétale pour obtenir un produit ciblé. Le problème c’est que ces molécules peuvent générer également d’autres produits non désirés, ce qui va créer des déchets qu’il faudra recycler. Dans le cas de la conception d’un médicament, ces produits non désirés peuvent être par exemple la cause des effets secondaires. Pour contrôler la sélectivité des réactions, nous utilisons un catalyseur. Au sein du laboratoire, pour activer les molécules, nous avons développé de nouvelles technologies qui font appel à la physique en utilisant un champ électrique, une onde ou bien une pression que nous couplons à la catalyse. Cette double stratégie nous permet d’activer les molécules quasiment à température ambiante tout en contrôlant la sélectivité des réactions. Ces recherches menées au sein du laboratoire ont particulièrement intéressé nos partenaires industriels.

La catalyse, qu’est-ce que c’est ?

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Ce prix récompense également « la volonté des chercheurs à valoriser les résultats de leur recherche vers le tissu socio-économique », quel a été votre parcours dans ce domaine ?

FJ : Le laboratoire travaille sur la chimie biosourcée depuis les années 80 et est l’un des précurseurs français. Alors lorsque le changement climatique est devenu un sujet d’actualité, et que la société a commencé à s’y intéresser, Poitiers qui avait déjà une certaine expérience a attiré les industriels. Nous avons discuté avec eux pour savoir quelles molécules en chimie biosourcée étaient les plus pertinentes pour eux et c’est ainsi que sont nés les premiers contrats. Nous travaillons entre autres avec Solvay, L’OREAL mais également avec des PME comme ARD (bioraffinerie), le FCBA (centre technique industriel spécialisé dans la filière bois) ou SEPROSYS (procédé de séparation). Nous avons également été à l’initiative de la création de la startup Biosedev qui exploite un savoir-faire développé au sein du laboratoire. Aujourd’hui je continue à discuter avec les industriels pour savoir quels sont les grands verrous technologiques sur lesquels ils attendent des avancées.

Vous avez également joué un rôle majeur dans la création de la fédération de recherche en chimie verte INCREASE en 2015, quel bilan en dressez-vous ?

FJ : INCREASE est un réseau collaboratif public-privé dédié à l’éco-conception et aux ressources renouvelables regroupant 8 laboratoires en France et de nombreux partenaires industriels et institutionnels. Clairement, cette fédération nous a servi de tremplin, elle nous a ouvert un large réseau de collaborations industrielles. On a également constaté une augmentation significative de l’impact de nos recherches. INCREASE nous a également permis de créer ISGC (International Symposium on Green Chemistry) qui est devenu le plus gros congrès international en chimie verte. Ce congrès attire tous les 2 ans entre 700 et 800 participants industriels et académiques de plus de 50 pays. La création de moments de rencontres et de possibilités d’échanges et de partages entre les industriels et les chercheurs est véritablement ce qui a généré le succès de la Fédération et du congrès. Plus de 400 rendez-vous public / privé ont été organisés pendant la dernière édition du congrès.

Quels sont vos projets à venir ?

FJ : Je souhaite travailler sur un volet très important : la communication et la valorisation de nos recherches vers le grand public. Pendant des années je pense que la chimie, n’a pas assez communiqué auprès du grand public. Les gens ne savent à quoi sert la chimie, à quel point elle se retrouve dans tout ce qui nous entoure et surtout qu’elle n’est pas forcément synonyme de pollution et qu’elle contribue grandement au développement durable de notre société

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