Pour la troisième fois en deux ans Aurélien Pichon, doyen de la faculté de sciences du sport et chercheur au sein du laboratoire MOVE, est parti arpenter les plateaux péruviens jusqu’à La Rinconada, la ville la plus haute du monde. Dans le cadre du projet de recherche « Expédition 5300 » sur les effets des traitements contre le mal chronique des montagnes, ses collègues et lui viennent en aide à la population locale en fournissant un soutien matériel et médical. Pleinement engagé dans cette expédition scientifique et humanitaire, Aurélien Pichon raconte les particularités de cette expérience, les difficultés rencontrées et ses envies de poursuivre ses travaux sur l’hypoxie et les effets du manque d’oxygène ou de l’altitude.

Comment avez-vous été amené à participer à cette expédition ?

Avant de venir à Poitiers, j’ai travaillé à l’Université Paris 13 comme enseignant-chercheur dans un laboratoire dont la spécialité était l’hypoxie sur les modèles humains et animaux. Pendant 10 ans, j’ai beaucoup étudié les effets physiologiques et biologiques de l’hypoxie, la prévention du mal aigu des montagnes et les mécanismes d’adaptation à l’altitude. J’ai aussi travaillé sur l’impact bénéfique de l’altitude sur la performance chez des athlètes d’endurance. L’an dernier, l’équipe de chercheurs de l’université de Grenoble à la tête de l’Expédition 5300 m’a sollicité pour participer à l’aventure. Samuel Vergès, docteur en physiologie à l’université de Grenoble-Alpes, m’a associé à cette expédition, comme d’autres chercheurs étrangers ou français. C’est une équipe pluridisciplinaire, qui associe plusieurs laboratoires. Nous sommes partis une première fois en 2019 pour étudier les caractéristiques physiologiques de cette population unique largement atteinte du mal chronique des montagnes. Nous y sommes également retournés en février 2020 et en octobre 2020 afin de réaliser un essai clinique afin de tester deux médicaments potentiellement efficaces contre ce mal chronique des montagnes.

Ces travaux dans des conditions si particulières sont-ils les plus « précieux » ou instructifs de votre carrière de chercheur ?

J’ai déjà eu l’occasion d’aller presque aussi haut en Chine, sur les plateaux tibétains, pour des recherches en physiologie animale. Sur cette expédition, nous travaillons sur les effets de l’altitude sur l’homme avec en plus la volonté d’améliorer la condition des locaux. A la suite de nos observations en 2019, nous voulions y retourner avec des médicaments et des solutions améliorant leur quotidien. Cela donne un impact différent à nos recherches.

A La Rinconada, nous avons été confrontés à un environnement extrême, du fait de l’altitude, du relief, de la météo. Les villes les plus hautes sont faites de maisons en tôle, avec des conditions sanitaires difficiles. Pour nous, le volet recherche était très important mais nous avions à cœur que cette mission soit également humanitaire. Nous avons contribué à apporter du matériel pour les écoles, du matériel médical et biomédical pour le dispensaire. Il y a un projet à long-terme de créer un centre de santé dans la continuité de nos activités. L’idée est de créer un vrai lieu de support médical à la population, en incitant les pouvoirs publics à prendre pleinement conscience de la situation.

A quelles difficultés avez-vous du faire face ?

Au début, il y avait de nombreuses difficultés logistiques en plus des contraintes environnementales. Aujourd’hui, nos conditions matérielles sur place s’améliorent. Lors des deux premières expéditions, il fallait résoudre des problèmes électriques, d’approvisionnement, de qualité des matériaux… Nous avions seulement deux prises électriques dans notre pièce de 200 mètres carrés pour monter entre six et sept pôles de recherche. Au fur et à mesure, nous étions mieux accompagnés et équipés. Le transport est également une difficulté : en 2019 il nous a fallu 1h15 pour faire les dix derniers kilomètres parce que la piste était abîmée. Il a fallu également trouver du matériel adapté, que nous ne pouvions pas apporter en avion. Il nous faut à chaque fois au minimum une journée de débrouillardise afin de parvenir à adapter le matériel aux contraintes locales.

Pourriez-vous expliquer les notions d’hypoxie, en précisant ce que vous avez étudié au Pérou ?

L’hypoxie c’est la baisse de la pression partielle en oxygène dans un milieu, c’est-à-dire qu’il y a moins d’oxygène disponible , par exemple du fait de la baisse de la pression atmosphérique avec la montée en altitude. La concentration d’oxygène dans l’air (20,93%) ne change pas, mais plus on monte en altitude, moins l’oxygène est disponible pour l’organisme. Cette hypoxie peut avoir des effets physiologiques importants, que ce soit à cause d’une montée trop rapide ou à une mauvaise adaptation à long-terme. Si l’on reste trop haut et trop longtemps en haute altitude, on peut subir ce qu’on appelle le mal aigu des montagnes : des maux de têtes, des nausées, voire même de l’œdème. Dans la pire des situations, certaines personnes peuvent souffrir d’œdème pulmonaire ou cérébral. Nous ne sommes cependant par égaux face à ce manque d’oxygène aigue ou chronique et certains individus répondent bien mieux à l’altitude et ne présentent pas de symptômes même à des altitudes très élevées.

A La Rinconada, nous avons étudié ce qui se passe chez des Quechuas, natifs des hauts plateaux, à environ 3800-4000 mètres, qui restent très longtemps en très haute altitude. Le nombre de globules rouges présent dans le sang augmente classiquement sous l’effet de l’altitude, mais parfois il peut y avoir un dérèglement : une polyglobulie excessive de haute altitude. Normalement, on l’observe sur des personnes qui ne s’adaptent pas bien à l’altitude et qui sont caractérisées comme atteintes du mal chronique des montagnes. Or nos recherches récentes ont montré que cette polyglobulie ne permettait pas si bien que cela de distinguer les patients qui se disent en relativement bonne santé des autres et qui peuvent être considérés comme atteints du mal chronique des montagnes. Les habitants de La Rinconada sont pour la plupart des Quechuas et disposent de potentialités génétiques élevées pour répondre favorablement à l’altitude mais ils sont 20 à 25% à développer ce mal chronique des montagnes à (5300m) contre 10 à 15% habituellement à l’altitude classique des hauts plateaux (<4000m). Nous étudions sur ces patients les adaptations génétiques, immunitaires, cardiovasculaires et plus généralement la capacité du corps humain à lutter contre les effets délétères de l’oxygène.

Après avoir travaillé dans un milieu si extrême, ressentez-vous l’envie, voire le besoin, de multiplier ces expéditions ?

Quand nous y sommes, la vie quotidienne et difficile. C’est un environnement extrême ; il fait froid, nous n’avons pas de confort, nous souffrons plus ou moins du mal aigüe des montagnes donc nous avons généralement hâte de finir le travail et de redescendre. Mais nous étions heureux d’y retourner encore une fois en octobre, dans le contexte actuel et d’apporter notre soutien à cette population. Nous retenons généralement que les bons côtés, et nous travaillons entre chercheurs et amis, en passant de bons moments même si l’environnement est particulièrement hostile. Nous serons contents de monter des nouveaux projets à La Rinconada, d’aller plus loin, à la fois dans la recherche et dans le soutien à la population. Quand nous sommes arrivés au Pérou le pays était meurtri par la crise sanitaire de la COVID-19, il n’y avait pas de bruit, très peu d’activités commerciales, plus de commerce… c’était choquant.

Sous quelles formes pouvez-vous retranscrire et valoriser votre expérience là-bas ? Quelle résonance auprès d’étudiants souhaitez-vous provoquer par le biais d’une telle expédition ?

C’est l’enjeu de la communication scientifique : créer des échanges, essayer de partager avec des photos, des vidéos, sur les réseaux sociaux. C’est une vraie chance pour nous d’avoir un communiquant comme Axel Pittet dans l’équipe. Sans lui, nous aurions peut-être fait la même chose sur le plan scientifique mais sans montrer la difficulté de vie de ces gens-là. Aujourd’hui, cette valorisation par la communication et la culture scientifique est nécessaire au grand public et donc aux étudiants : avoir l’esprit critique, ne pas croire ce qu’on nous dit, aller confronter ses sources et approfondir un dossier. En tant qu’enseignant à l’université, cela me paraît nécessaire de cultiver cette compétence dans la formation de tout citoyen. Scientifiquement, nous espérons produire des articles dans de bonnes revues internationales en plus de ceux déjà publiés dans des revues de vulgarisation scientifique. Il faut enrichir la recherche sur l’environnement et l’adaptation de l’être humain.

Cet axe de recherche est-il une spécialité de votre laboratoire de recherche ?

Nous sommes plusieurs à travailler sur les effets de l’altitude dans ce laboratoire, notamment Claire de Bisschop et moi qui suis arrivé plus récemment. Les collègues mènent aussi des expériences en Amérique du Sud ou au camp de base de l’Everest. Récemment nous avons pu installer une chambre hypoxique au Centre d’investigations cliniques du CHU de Poitiers, ce qui va nous permettre de reproduire des environnements hypoxiques et d’étudier ce qu’il se passe sur la physiologie et la biologie humaine de façon particulièrement contrôlée. Nous pouvons également envisager de nous servir de cette chambre hypoxique afin d’améliorer la performance physique chez les athlètes mais aussi pour améliorer certains paramètres physiopathologiques chez des patients. Ces sujets sont au cœur de nos préoccupations autour de la thématique de l’hypoxie.

« C’est une chance de pouvoir faire ce type de recherche, nous avons les yeux qui brillent quand on en parle. C’est important d’aller aider des gens en difficultés, les patients et les médecins locaux. Il y a tout cela derrière le projet global que l’on essaie de mener. La recherche c’est aussi une histoire de relations humaines. On s’entraide et on a envie de travailler ensemble. »

 

Pour plus d’information www.expedition5300.com

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