Dans un article publié en décembre 2020 dans Geobiology, une équipe internationale dirigée par Abderrazak El Albani, Professeur à l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (université de Poitiers/CNRS) a montré que des microbes ont su coloniser et prospérer dans des milieux extrêmophiles associés à un environnement très confiné de lac volcanique il y a 570 millions d’années. Des milieux qu’on pourrait retrouver… sur Mars !

Vos précédentes découvertes sur le site de Franceville, au Gabon (Nature, 2010, Plos One 2014, PNAS 2013 et 2019) avaient fait reculer la date de l’apparition de la vie sur Terre de manière spectaculaire. Qu’avez-vous découvert au Maroc ?

Nous avons travaillé dans une zone en excellent état de conservation, ce qui est d’autant plus rare que l’on remonte dans le temps. Elle est située au sud-est du Maroc dans la région de Ouarzazate, près de la localité d’Amane Tazgart. Les résultats obtenus apportent des preuves fossiles indubitables que des microorganismes ont su s’adapter de manière étonnante à des milieux très divers, dans des conditions extrêmes. Le site a révélé des constructions biologiques associées à l’activité de colonies bactériennes et connues sous le nom de stromatolithes. Datés de 571 millions d’années, ils sont parmi les édifices biologiques les mieux conservés de cette période (Précambrien) pour l’ensemble du continent africain et dans ce type de contexte géologique. Ces colonies se sont développées dans un lac de caldeira volcanique, où les températures associées à des sources hydrothermales étaient relativement élevées (atteignant 120 degrés) et les eaux à la fois salines et alcalines chargées en arsenic, calcium, magnésium, sodium, potassium. Autant de conditions inhospitalières que l’on a longtemps considérées comme impossibles au développement de toute forme de vie !

En quoi cette découverte est-elle importante ?

Comprendre le mode de vie et de développement de ces bactéries est crucial ! C’est pourquoi les organismes extrêmophiles font l’objet d’intenses recherches depuis une trentaine d’années. En effet, l’émergence des premières traces de vie sur Terre est survenue entre 3,5 et 3,8 milliards d’années (Ma), sous forme microbienne (bactéries). Or ces organismes ont résisté à toutes les crises biologiques et environnementales jusqu’à nos jours. Bien avant l’émergence des formes pluricellulaires complexes (2,1 Ma) ancêtres des métazoaires (570 millions d’années), ils occupaient déjà presque tous les écosystèmes, marins comme continentaux. C’est donc un enjeu majeur pour rechercher la présence des traces de vie dans des contextes similaires, mais extraterrestres (planètes, satellites, comètes…).

Du Gabon au Maroc, le Professeur El Albani à la recherche de la vie… bientôt sur Mars ?

Répartition spatiale des colonies bactériennes stromatolithiques (vue d’avion et en coupe) sur le site d’Amane Tazgart (Région de Ouarzazate), Maroc. Copyright : El Albani & Chraiki

Avec l’arrivée sur Mars, le 18 février, du rover américain Perseverance, votre découverte apparaît sous un jour nouveau. Pouvez-vous nous expliquer en quoi vos recherches intéressent la NASA ?

Les conditions extrêmes dans lesquelles ces communautés microbiennes ont vécu et se sont développées ont récemment suscité l’intérêt de la NASA. Un tel témoignage pourrait servir d’analogue terrestre pour la recherche de formes de vie simples susceptibles d’exister sur d’autres planètes, en apparence non viables selon les théories classiques. Il faudrait surtout garder à l’esprit que Mars a le même âge que notre planète, à savoir 4,6 Milliards d’années. Il y a 3,5 Milliards d’années, Mars montre la présence avérée de l’eau sur sa surface. Sur terre à la même époque des bactéries ont été fossilisées. Ce sont les premières traces de vie sur terre. L’intérêt de la NASA se porte globalement sur tous les sites d’exceptions dans le monde qui pourraient représenter des analogues aux conditions ayant prévalu sur Mars au moment où l’eau était présente sur cette planète. Le site situé au sud-est du Maroc où nous avions travaillé en fait partie. La NASA a déjà eu l’occasion de visiter ce site presque au moment où les travaux de ma doctorante, I. Chraiki (de l’université Cadi Ayyad de Marrakech) ont débuté. Ce travail a été mené dans le cadre d’une collaboration internationale avec l’université de Cardiff (Pays de Galles). Cette coïncidence nous amène à porter une attention particulière à ce site. Ce dernier était déjà bien connu par la communauté scientifique, mais très peu détaillé. Nous nous sommes alors intéressés dans un premier temps au milieu de vie et de mise en place de ces accumulations bactériennes à travers l’analyse des conditions bio-géochimiques et minéralogiques. Au préalable un travail de géologie de terrain a eu lieu puisqu’il est absolument indispensable afin de mieux contraindre la géométrie « 3D » et la répartition spatio-temporelle de ces accumulations bactériennes. Actuellement, nous menons des travaux à haute résolution qui s’intéressent plus à la caractérisation très fine de la chimie du milieu de vie de ces bactéries.

L’inscription de ce site sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO va débuter très prochainement. Nous allons suivre la même procédure déjà réalisée pour le site fossilifère gabonais, qui a pu être inscrit sur cette liste.

photo de bactéries prise au microscope électronique à balayage

Photo de bactéries prise au microscope électronique à balayage

Vos recherches ont eu un impact médiatique considérable : publications scientifiques, bien sûr, mais aussi émissions de radio, de télévision, film… jusqu’à Charlie Hebdo ! Vous êtes aussi à l’origine d’un musée virtuel qui a beaucoup de succès, Aux origines de la vie. Quel rôle représente la vulgarisation scientifique dans votre vie de chercheur ?

Je pars du principe que tous les chercheurs ont la possibilité de partager au moins une partie de leurs savoirs avec le grand public sans oublier bien entendu les scolaires. Je suis très conscient que certaines disciplines sont plus accessibles que d’autres. Toutefois quand on écoute, par exemple, une des conférences du professeur Serge Haroch, titulaire du Prix Nobel de physique, alors on a tout de suite l’impression de comprendre la physique.

Je conçois également que le partage de nos savoirs comporte quelques contraintes et notamment la disponibilité. Répondre aux sollicitations, cela prend énormément de temps. Cela étant, les nouvelles technologies pourront venir à la rescousse des chercheurs. Il y a des supports numériques qui permettent d’aider à partager à tout moment et avec tout le monde. C’est la raison pour laquelle nous avons réalisé en 2019 avec le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine ce Musée Virtuel libre d’accès intitulé « Aux Origines de la Vie » : https://www.aux-origines-de-la-vie.com/fr. Sa mise en place a pris environ 3 ans.

Depuis le début de la crise sanitaire, nous ne pouvons plus, malheureusement, continuer à faire profiter le grand public notamment de notre exposition de la collection de fossiles et de roches âgés de 2,1 milliards et 570 millions d’années. Le Musée virtuel a pris toute sa place et a été énormément consulté. Enfin, toujours dans un esprit de partage et de médiation scientifique, nous avons mis en place un projet didactique inédit à propos de la pédagogie inversée. Notre établissement serait pionnier à l’échelle nationale. La crise sanitaire a retardé sa mise en place, mais nous sommes en train de le tester avant un déploiement complet.

Référence de l’article :

Chraiki, I., Bouougri, E, H., Fru, E, C., Lazreq, N., Youbi, N., Boumehdi, A., Aubineau, J., Fontaine, C., El Albani A*., (2020). A 571 million-year-old alkaline volcanic lake photosynthesizing microbial community, the Anti Atlas, Morocco. Geobiology.

  • La vie étudiante continue sur les réseaux sociaux !