Produire de l’ammoniac vert : les chimistes poitevins font baisser la facture énergétique
L’ammoniac est un des produits chimiques les plus synthétisés au monde car il est utilisé par l’industrie notamment pour la production d’engrais. Cependant, son procédé de fabrication est énergivore et fortement émetteur de CO2. Des scientifiques de l’Institut de Chimie des Milieux et Matériaux de Poitiers – IC2MP – démontrent comment l’ammoniac peut être généré dans des conditions plus respectueuses de l’environnement.
Un peu d’histoire
En 1879 éclate entre le Chili, la Bolivie et le Pérou un conflit qu’on appellera « guerre du Pacifique ». En cause, les précieux gisements de salpêtre (ou nitrate du Chili) convoités par l’industrie et le commerce international pour sa composition naturellement riche en nitrates de sodium (NaNO3), dont l’utilité pour les engrais et la fabrication d’explosifs provoque une forte demande ainsi que des tensions mondiales croissantes. Ce minerai, surnommé « or blanc », sera jusqu’au début du XXe siècle l’unique manière d’accéder à l’atome d’azote (N) « fixé », ressource indispensable au monde du vivant et à l’agriculture.
Il faudra attendre 1909 pour qu’un chimiste allemand, Fritz Haber, mette au point un procédé (dit « Haber-Bosch », HB) permettant de fixer le diazote (N2) atmosphérique par réaction avec le dihydrogène (H2) et conversion en ammoniac (NH3), lequel permet à son tour la synthèse d’engrais azotés synthétiques grâce à la fixation de N.
La production industrielle d’ammoniac est encore aujourd’hui majoritairement obtenue via le procédé HB et s’élève à près de 180 millions de tonnes (Mt), avec une croissance évaluée à 40 % d’ici 2050, sans compter l’utilisation future éventuelle de cette molécule comme moyen de stockage de l’hydrogène.
Ce procédé utilise un catalyseur (accélérateur de réaction) à base de fer ou de ruthénium pour faciliter la rupture de la liaison entre les deux atomes d’azote constitutifs du diazote (N2), l’étape-clé du processus. La synthèse de l’ammoniac représente pourtant un défi environnemental et énergétique majeur puisqu’elle contribue à 1,3 % des émissions mondiales de CO2 (soit 620 Mt de CO2) et utilise 1 % de la consommation d’énergie planétaire. Cette empreinte carbone spectaculaire est directement liée à l’utilisation de dihydrogène issu des ressources fossiles. L’obtention de dihydrogène vert obtenu par électrolyse de l’eau alimentée par les énergies renouvelables apporte l’espoir de rendre ce procédé plus vertueux.
Un défi environnemental et énergétique porté par des chimistes de l’IC2MP
Contrairement au procédé actuel conçu pour une production centralisée à grande échelle (> 1000 t d’ammoniac / jour) réalisée sous 200 bars de pression et 600 °C, la conversion de dihydrogène vert en ammoniac devra se faire dans des petites unités flexibles et décentralisées capables de supporter la nature intermittente des énergies renouvelables. Ces unités seront viables économiquement à condition de pouvoir réaliser la synthèse de l’ammoniac dans des conditions de température et de pression beaucoup plus douces (300 à 350 °C et 10 à 50 bars). La course est donc lancée pour concevoir un nouveau catalyseur permettant d’atteindre cet objectif.
Des chimistes de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (IC2MP, CNRS / Université de Poitiers), en collaboration avec une équipe de l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB, CNRS/Université de Bordeaux), participent aux recherches sur ces nouveaux catalyseurs. Ils viennent de montrer que des matériaux développés initialement pour le stockage d’hydrogène permettent d’obtenir des rendements en ammoniac dès 300 °C et sous pression atmosphérique (1 bar environ), là où les catalyseurs historiques sont inactifs. Ces résultats, à retrouver dans la revue ChemCatChem, ouvrent un nouvel horizon pour une production durable d’ammoniac.