Il y a quelques années, l’équipe d’Abderrazak El Albani, de l’Institut de chimie des milieux et matériaux de Poitiers (IC2MP – université de Poitiers/CNRS), a découvert au Gabon les plus vieux fossiles d’organismes pluricellulaires nommés « Gabonionta ». Grâce à ce gisement situé dans le bassin de Franceville, la date d’apparition d’une vie pluricellulaire sur Terre avait alors été reculée d’environ 1,5 milliard d’années, passant de – 600 millions à – 2,1 milliards d’années. Les chercheurs avaient également montré que cette formidable biodiversité, concomitante d’un pic de concentration en dioxygène dans l’atmosphère², s’était développée dans un milieu marin calme et peu profond.
C’est au sein de la même formation géologique que l’équipe de l’IC2MP a découvert l’existence de fossiles de protistes macroscopiques dont la taille peut atteindre 4,5 centimètres. Leur milieu de vie semble avoir été dans l’eau et non sur le fond marin. Dans cet écosystème marin primitif, certains organismes eucaryotes étaient donc déjà biologiquement suffisamment sophistiqués pour pouvoir vivre de façon planctonique. Ce résultat a été obtenu grâce à l’usage du zinc, considéré comme un élément indispensable pour le métabolisme biologique. Les données ont révélé que ces fossiles contiennent environ deux fois plus de zinc que le sédiment qui les contient. De plus, à l’intérieur de ces fossiles, les isotopes du zinc montrent un enrichissement en isotope léger par rapport à ce même sédiment. Le comportement du zinc est d’un grand intérêt car il s’agit d’un micronutriment bio-essentiel, composant de plusieurs métalloenzymes qui remplissent des fonctions biologiques clés dans les cellules eucaryotes.
Ainsi, la demande cellulaire en zinc dépend fortement de la taille de la cellule, de l’organisation, la complexité, la fonctionnalité et le métabolisme. À cet égard, l’augmentation de la taille de ces organismes a pu être corrélée à l’augmentation de la disponibilité du zinc. Ces données ont permis de mettre en lumière le rôle fondamental du zinc comme marqueur biogéochimique de la biogénicité.
Parallèlement, un couplage avec des analyses de micro-fluorescence X au synchrotron-Soleil a permis de retracer la répartition spéciale à l’échelle nanoscopique du zinc à l’intérieur de ces spécimens ainsi que sa co-localisation avec la matière organique.
La reconstitution morphologique en 3D par micro-tomographie aux rayons X, technique d’imagerie non-destructive, a permis d’avoir un éclairage sur la morphostructure. Enfin, les résultats ont montré qu’il s’agit bien de structures lenticulaires ayant une compartimentalisation interne. Ces données d’imagerie apportent une confirmation supplémentaire de l’origine biologique de ces fossiles.
À quoi ressemblaient concrètement ces êtres vivants ? Ils étaient peut-être similaires aux protistes de grand taille capables de flotter dans la colonne d’eau. Quand ces organismes agrègent des fines particules argileuses, ils chutent sous l’effet de leur densité d’une manière aléatoire sur les sédiments formant le fond marin. Jusqu’à présent, les plus anciens protistes eucaryotes planctoniques reconnus étaient datés de 570 millions d’années, ce qui semblait être conforté par les estimations utilisant l’horloge moléculaire³.
Cette nouvelle découverte met en évidence une innovation biologique qui soulève de nouvelles questions sur l’histoire de l’évolution à savoir : des formes de vie planctonique perfectionnées existaient-elle déjà il y a 2,1 milliards d’années ?
¹ Nature, 2010 et PLOS ONE, 2014.
² PNAS, 2013
³ Le principe : exploiter les variations observées entre deux espèces dans des régions similaires de leur ADN pour estimer la durée écoulée depuis l’époque où vivait leur dernier ancêtre commun.
Informations complémentaires
Légende de l’image d’illustration
© A. El Albani
Représentation artistique de la morphologie et de l’environnement de vie des spécimens protistes étudiés faisant partie des « Gabonionta ». La forme est lenticulaire à symétrie radiale et la cavité est segmentée en différentes chambres. Ils peuvent atteindre de grandes tailles, jusqu’à 4,5 cm. Une bordure large d’environ 1/6e du diamètre extérieur caractérise une grande partie de la population et jouait probablement un rôle pour le déplacement dans la colonne d’eau. La surface légèrement crénelée de ce qui est probablement un protiste (eucaryote unicellulaire) a été protégée par un matériau argileux en suspension piégé dans la couche néphéloïde.