Three Mile Island et Fukushima, deux accidents nucléaires pour une même cause
L’accident de la centrale de Three Mile Island en 1979 et la catastrophe de Fukushima en 2011 ont été provoqués par des dysfonctionnements du système de refroidissement. Si ce dernier s’arrête, la température augmente considérablement dans le cœur du réacteur et les gaines qui contiennent les combustibles se détériorent, laissant potentiellement s’échapper des produits de fission. . Ces gaines peuvent également réagir avec la vapeur d’eau si la température continue de monter et de l’hydrogène se forme ce qui peut générer des explosions comme ce fut le cas à Fukushima.
Dans les conditions normales de fonctionnement, les gaines actuelles résistent parfaitement à la fission des atomes d’uranium du combustible nucléaire et à la corrosion générée par l’eau pressurisée à une température de 300°C. Mais si le système de refroidissement s’arrête trop longtemps, l’accident peut survenir. Et c’est l’objectif du projet H2020 « Il Trovatore » : trouver une solution pour que les gaines résistent , même quand elles ne sont plus refroidies et avoir des centrales tolérantes aux accidents.
Le laboratoire de Poitiers sélectionné parmi les experts mondiaux
Le département de physique et mécanique des matériaux du laboratoire P’ a été choisi par le coordinateur du projet H2020 pour faire partie du consortium de 33 établissements et partenaires dans le monde chargés de travailler sur ce sujet. « Nous sommes spécialisés dans la synthèse des matériaux et leur caractérisation par des techniques fines et en particulier la microscopie électronique en transmission » explique Thierry Cabioch, responsable du projet pour Poitiers. « On a fait appel à nous pour notre expertise dans la production de matériaux et l’analyse de leurs propriétés physiques et mécaniques. Nous cherchons en particulier à comprendre comment les matériaux se déforment dans certaines conditions, quels sont les défauts constatés, la vitesse de détérioration, les températures maximales qu’ils peuvent supporter. Ensuite des partenaires du projet analyseront leurs résistances à l’oxydation, à la corrosion, aux irradiations… ».
Des conditions extrêmes
Le projet vise à sélectionner des matériaux et tester leurs propriétés pour voir si elles répondent aux attentes. Les matériaux les plus intéressants seront ensuite irradiés dans des générateurs pendants 2 ans. Thierry Cabioch décrit les conditions que ces gaines devront supporter : « en condition normale, elles doivent résister à une eau sous très haute pression, à une température de 300°C ainsi qu’aux radiations générées par le combustible et cela pendant plusieurs années. Et en cas d’accident, il faut qu’elles résistent à la température de 1400 ° C».
Les Phases max, des matériaux surprenants
Parmi les matériaux prétendants, les Phases Max pourraient être la bonne solution. Un chercheur américain a découvert en 1996 que ces matériaux avaient des propriétés exceptionnelles. Il résiste très bien à l’oxydation, à la corrosion et aux fortes températures. Certains d’entre eux résistent également très biens aux radiations. Ils ne sont pas stables à haute température mais cela leur confère une propriété intéressante : en présence d’oxygène, l’aluminium de la Phase Max réagit avec celui-ci pour former de l’alumine ce qui protège le matériau Cette réaction peut même reboucher les fissures on parle alors de matériaux auto cicatrisant. Encore plus extraordinaire, ce matériau voit ses propriétés s’améliorer après utilisation à haute température. Il devient plus résistant !
Il y a actuellement 70 compositions de Phases Max. Une équipe de chercheurs belges à laquelle était associé Thierry Cabioch a récemment découvert une nouvelle Phase Max à base de Zirconium qui est le principal constituant du matériau utilisé dans la conception des gaines actuelles des centrales. cI y aurait donc une très grande compatibilité entre les différents matériaux. « On sait fabriquer des Phases Max sous forme de matériaux massifs mais aussi en films minces précise Thierry Cabioch. Une des solutions envisagées est de venir déposer le Phase Max sur la gaine de Zircalloy pour la protéger en cas d’accident ». Il y a beaucoup d’intérêts dans le monde pour les Phases Max. elles s sont également étudiées pour des usages dans les secteurs de l’aéronautique et l’aérospatial. « Il y a encore beaucoup à découvrir sur ces matériaux » s’enthousiasme Thierry Cabioch.
Une solution applicable dans 20 ans ?
Thierry Cabioch explique que « dans 4 ans et demi, à la fin du projet H2020, il est fort possible que l’on n’ait pas de solution technologique. On répondra peut-être à 95 % des conditions nécessaires mais dans le nucléaire il faut que cela soit 100%. On aura peut-être une solution fiable dans une 20 aine d’années ! ». C’est généralement le temps nécessaire entre le moment où l’on découvre un matériau, où on l’analyse pour le comprendre parfaitement, où on le teste dans toutes les situations possibles, et le temps où les industriels s’en emparent, modifient leurs procédés de fabrication pour qu’enfin le matériau soit utilisé.
Les plus grands spécialistes mondiaux des Phases Max étaient à Poitiers du 5 au 7 novembre 2018 dans le cadre d’un colloque international dédié à ces matériaux, organisé par l’institut P’.
Informations complémentaires
Contact : thierry.cabioch@univ-poitiers.fr
Institut P’ : https://www.pprime.fr/
site web du projet : http://www.iltrovatore-h2020.eu